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Vpogled v Preobrazba Polifemovega pogleda v slikarstvu Marija Preglja (1913–1967)

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Jure Mikuž

La métamorphose du regard de Polyph è me dans la peinture de Marij Pregelj (1913-1967)*

Mots-clés : Marij Pregelj, peinture moderniste slovène, Polyphème, œil [« windeye »]

DOI: 10.4312/ars.9.1.86-103

En 1959, le personnel de L'Académie des Beaux-Arts de Ljubljana a fait une photo de groupe (Fig. 1). Il est d'usage que toutes les personnes rassemblées se placent à cet effet de face en regardant vers l'appareil photo. Tout le monde, sauf Marij Pregelj qu'on reconnaît par son profil bien net1. Ce déplacement de la tête sur le côté montre bien son caractère : c'était un original, un homme rebelle, cynique, mais spirituel, révolutionnaire dans sa création artistique, et, au niveau éthique, un homme de principes dans ses décisions esthétiques. Parmi les nombreux thèmes qu'il a développés, nous nous intéresserons ici à la problématique du regard par un œil qui est – dans les arts visuels – étroitement lié à la visée en dessin, au développement de la perspective en peinture, à l'apparition de la chambre noire et, par là même, à l'appareil photographique ainsi qu'au tournage et à la projection filmiques.

Fig. 1. Le personnel de L'Académie des Beaux-Arts de Ljubljana, 1958-1959, détail.

ALUO, Ljubljana.

* Cet article est disponible en slovène sur le site: http://revije.ff.uni-lj.si/arshumanitas. / Slovenska različica članka je dosegljiva na http://revije.ff.uni-lj.si/arshumanitas.

1 C'est Nadja Zgonik (1994, 13) qui a attiré l'attention sur ce détail. Le même auteur a traité aussi de nombreux autres éléments mentionnés également dans cette intervention. C'est encore elle (Zgonik, 2007) qui a résolu l'énigme thématique du hachoir à viande sur les esquisses et les tableaux de Pregelj en rapprochant ce dernier de la théorie d'Eisenstein, ce qui lui a permis d'élucider la composition du montage des dernières œuvres de l'artiste. Je tiens à la remercier de m'avoir donné la possibilité de voir la reproduction de l'avant dernier tableau de Pregelj (selon son propriétaire) que je ne connaissais pas, c'est-à-dire le Portrait de ma femme appartenant à une collection particulière.

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À la fin des années 1930, Pregelj termina avec mention ses études à l'Académie des Beaux-Arts de Zagreb où il apprit l'art de représenter le monde d'une manière réaliste, sobre, aux coloris harmonieux. Pendant la Seconde Guerre, il passa trente- deux mois dans divers camps d'emprisonnement italiens et allemands où il échappait aux systèmes déshumanisants d'enchaînement et de menace permanente justement grâce au dessin  ; pourtant, ces expériences marquèrent profondément son âme et restèrent des thèmes obsessifs de sa création (voir : Bihalji-Merin, 1970). Les premières années d'après-guerre, l'art yougoslave a été enjoint d'exercer l'esthétique du réalisme socialiste selon l'exemple soviétique. Pregelj, qui depuis ses études à Zagreb connaissait bien l'art moderne des pays occidentaux de l'époque, tâchait, après la césure-censure des années de guerre et d'après-guerre, de retrouver un contact avec celui-ci2, ce qui lui réussit tout d'abord dans les illustrations de l'Iliade et l'Odyssée dans les années 1949-1951 (Kastelic, Mikuž, 1991). Son interprétation d'Homère est très proche de la pensée esthétique existentialiste contemporaine qui, soit dit en passant, était alors en Yougoslavie réprouvée parce qu'elle était considérée comme une philosophie décadente et bourgeoise d'un Occident capitaliste pourri et en dégradation, et pour cela inopportune (esthétique représentée dans les arts plastiques par Francis Bacon, Alberto Giacometti, Henry Moore et d'autres). On comprend alors, et ceci également au niveau symbolique, pourquoi il consacre tant d'attention au personnage du cyclope Polyphème, cannibale à l'œil unique aveuglé de la taille d'une meule de moulin, qui dévore quotidiennement deux compagnons d'Ulysse.

Fig. 2. Goya, Saturne dévorant ses enfants, 1819-1823.

Wikipedia.

2 Sur les sources et les influences étrangères concernant l'art de Pregelj, voir : Mikuž (1995, 118-173).

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En effet, dans de nombreuses situations des premières années d'après-guerre, l'artiste se rend compte que la révolution dévore ses propres enfants, ce qui apparaît dans les illustrations des deux poèmes ainsi que par son choix des scènes de combats ou de massacres les plus cruelles, ou encore par le fait qu'il a repris son personnage, au moins partiellement, d'après l'image effroyablement tragique du père antique des dieux, Saturne de Goya qui dévore ses enfants pour que personne ne soit plus fort que lui (Fig. 2).

En achevant la dernière, vingt-quatrième illustration de l'Iliade (peut-être la plus tragique de toutes car le roi Priam, abattu, y baise humblement la main d'Achille, meurtrier de son fils Hector, et l'exhorte à lui rendre son corps), Pregelj dessine en arrière plan une série de personnages en équipement de combat. Parmi eux, on voit aussi un homme au chapeau à la mode d'alors qui semble vouloir examiner encore une fois le travail terminé : il s'agit de son autoportrait, vu de profil. Les illustrations de l'Iliade et l'Odyssée, terminées en 1951, occupent une position clef dans l'évolution de son modernisme, car ce sont justement les nouveautés que l'artiste avait perfectionnées ici qui ont constitué, au cours des seize années suivantes, le temps qui lui restait jusqu'à sa mort subite à l'âge de cinquante-quatre ans, la base même de son style unique. Il abandonnait le réalisme descriptif et narratif et, en libérant les surfaces chromatiques du mimétisme, il soulignait leur côté plat. Il désarticulait ses tableaux en petites facettes et en grandes surfaces, bien délimitées, soulignant une coloration vive, de plus en plus sanglante.

Fig. 3. Pregelj, neuvième livre de l'Odyssée : Le cyclope Polyphème, 1951.

Moderna galerija, Ljubljana.

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Mais, avant tout, il stylisait les figures humaines en les décomposant pour atteindre une expressivité plus efficace et faire passer un message immédiat, il les défigurait jusqu'à les rendre méconnaissables. Souvent, il atteignait son but en plaçant la tête de profil, ce qui est dans la tradition de la peinture, par sa rigueur, son orientation précise et par cette autre moitié du visage énigmatiquement non représentée, toujours plus provocant qu'un visage présenté de face. De profil, on ne voit qu'un œil encore accentué sur l'image de sa tête par une grosse et sombre monture de lunettes semblable à celle que Pregelj portait en réalité ; et c'est cet œil qui va l'intéresser de plus en plus (Fig. 3).

Un artiste visuel, dont la création dépend avant tout du regard, doit être bien affecté par la description qu'Homère fait du cruel aveuglement de Polyphème par un pieu durci au feu (Figs. 4, 5). Or, chez Pregelj, les hommes ne sont pas les seuls à être dotés d'un œil unique ; c'est également le cas des objets (Figs. 6–9). Dans ses carnets de croquis, nous trouvons des métamorphoses de l'œil aveugle (de Polyphème) en fenêtre aveugle qui se change en rosace de cathédrale, en porte vitrée d'un lave-linge, en cadrans de téléphone, en roue de la roulette, en montre, en amphithéâtre, en fusée qui, par son œil unique, regarde vers la terre (voir : Zgonik, 1994, 34-44). L'œil est la première fenêtre de l'homme ouverte sur l'univers à la manière des fenêtres qui sont des ouvertures dans les murs aveugles d'une maison. Et si elles sont des lucarnes rondes, elles sont, par leur fonction comme par leur forme, assimilées aux yeux qui reçoivent la lumière et permettent de voir. Les mots fenêtre [okno] et œil [oko] ont dans les langues slaves une origine étymologique similaire (ainsi, par exemple, le mot bélorusse aknó), ils proviennent de la racine indoeuropéenne

∗hok qui signifie voir, c'est-à-dire que la signification primordiale la plus probable du mot fenêtre est tout simplement l'œil (de la maison)3.

Fig. 4. Pregelj, Dans l'atelier, 1955, huile sur toile, 127.5 x 160 cm.

Muzej savremene umetnosti, Belgrade.

3 Voir : Bezlaj, F., Etimološki slovar slovenskega jezika, II., Ljubljana 1982, s. v.; Snoj, M., Slovenski etimološki slovar, Ljubljana, 1997, s. v.

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Fig. 5. Pregelj, Polyphème, 1966, lithographie.

Moderna galerija, Ljubljana.

Fig. 6. Pregelj, Fausse fenêtre, 1962, dessin.

Moderna galerija, Ljubljana.

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Fig. 7. Pregelj, Fausse fenêtre, 1962, dessin.

Moderna galerija, Ljubljana.

Fig. 8. Pregelj, Corps – cathédrale, esquisse.

Moderna galerija, Ljubljana.

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Fig. 9. Pregelj, Cathédrale, 1965, esquisse.

Moderna galerija, Ljubljana.

Depuis la Renaissance, la peinture est basée sur une perspective monoculaire conçue scientifi quement et la seule véridique. Au milieu du XVe siècle, le théoricien Leon Battista Alberti écrit : « Je trace un rectangle de la taille qui me plaît et j'imagine que c'est une fenêtre ouverte par laquelle je regarde tout ce qui y sera représenté ». Si nous inscrivons les mots slovènes, contenus l'un dans l'autre, schématiquement en tant que OK(N)O (œil contenant une fenêtre) nous obtenons dans le discours théorique des arts plastiques un diagramme spéculaire : dans le faisceau conique du visuel il y a entre l'œil et le champ visuel une fenêtre imaginaire qui est le plan du tableau.

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Léonard, pour qui le miroir était le principal maître du peintre, écrivit : « La perspective n'est rien d'autre que la vision d'un objet derrière un verre lisse et transparent, à la surface duquel pourront être marquées toutes ces choses qui se trouvent derrière le verre ; tout se rend au point de l'œil par diverses pyramides et ces pyramides se coupent sur le verre ». C'est ainsi qu'en langue slovène les mots œil [o-ko], fenêtre [o-kno] et miroir [o-gledalo] sont des notions liées entre elles ayant en commun la première lettre, le O. Le signe de cette lettre est un cercle et est donc ronde comme un œil, oculus en latin ; or, les premières fenêtres (lucarnes), ainsi que les premiers miroirs convexes, étaient de la même forme.

Filippo Brunelleschi établit la perspective monoculaire en changeant le spectateur en voyeur qui regardait avec un œil à travers le trou d'une tablette peinte comme à travers une serrure. Il devait voir le tableau à partir d'un point bien déterminé, celui- là même d'où regardait l'auteur comme, semble-t-il, par un œil de cyclope. Comme nous regardons en réalité le monde autour de nous avec deux yeux en mouvement vif et permanent, de sorte qu'il est difficile de fixer le regard avec précision, la vision monoculaire est la seule manière qui permette de transformer l'espace global, tridimensionnel psychophysique qui nous entoure en espace plat, mathématique, géométrique du tableau. Le créateur décide minutieusement de la vision du monde, car il concentre toute l'apparence dans un point d'où il la domine en tant que maître.

Le regard d'un œil, omnipotent, offre les spéculations symboliques les plus diverses qui le relient à la conviction religieuse, à l'idéologie régnante, à la conception du monde, aux mœurs et à la croyance générale puisqu'il reflète l'assimilation à l'œil divin des anciens Égyptiens, l'omnivoyance divine chrétienne de la Sainte Trinité ainsi que la société monarchique absolutiste d'une structure pyramidale4.

4 Les deux derniers paragraphes, notamment les citations, se rapportent à Mikuž (1997, 79-101).

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Après les deux tablettes parallèles dotées d'un seul trou d'observation, ce procédé de la perspective utilisé à la Renaissance, c'est surtout en Hollande qu'on commence, à partir du XVIIe siècle, à développer des instruments d'optique pour un regard monoculaire dont les expériences sont utilisées également en peinture.

Constantijn Huygens, érudit hollandais décrit l'enthousiasme des gens d'expérience et des profanes qui ont regardé pour la première fois à travers le microscope des choses jusque là jamais vues. Il souligne tout particulièrement le désir de dessiner avec précision ce « Nouveau monde » pour que les autres puissent le voir également, car on découvre mieux le monde en regardant qu'en lisant. Seules les lentilles du microscope et du télescope permettent de voir pleinement la grandeur de la création divine. Huygens décrit la chambre noire comme une chambre sombre dans laquelle se projettent, par le biais de rayons lumineux passant à travers un seul trou, muni ou non d'une lentille, des images inversées. À côté d'elles la peinture est morte car non seulement ces images reflètent la vie authentiquement, mais elles sont encore plus belles qu'elle. L'invention de l'appareil photographique et de la caméra plus tard n'a fait que fixer les images projetées dans la chambre noire. Au XVIIe siècle, la perspectifkas hollandaise (boîte à perspective), dans laquelle le spectateur voyait un intérieur à trois dimensions qui était en réalité peint d'une manière illusionniste sur les parois, avait aussi une seule ouverture ronde située sur chaque côté plus étroit de la boîte correspondant à l'œil observateur. L'invention suivante de l'appareil monoculaire, qui cette fois ne recevait pas les rayons mais les transmettait, c'est la lanterne magique, l'ancêtre des projecteurs de toute sortes. Constantijn Huygens était enthousiasmé par toutes ces inventions  : grâce aux lentilles, chaque mortel est l'égal des dieux, car il voit des créations jusqu'alors inconnues, depuis les plus petites jusqu'aux plus grandes, depuis les plus proches jusqu'aux plus éloignées.

Mais, à cause de la relativité de leurs grandeurs, la question de la vision réelle et de sa représentation visuelle se pose à lui, car celle-ci peut totalement changer la vérité, peut leurrer l'œil, de même que l'on voit le monde renversé dans la chambre noire (cf. Alpers, 1983, 1-25).

La vision monoculaire attirait de plus en plus Pregelj, au point que ses personnages se sont transformés en cyclopes borgnes (Fig. 10), comme s'il se demandait dans ses tableaux comment un œil, organe permettant de regarder les images, voyait les représentations enregistrées et projetées par un appareil technique monoculaire.

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Fig. 10. Pregelj, Tablée fantastique, 1966, huile sur toile, 176 x 150 cm.

Muzej savremene umetnosti, Belgrade.

À cette époque, son fils (né en 1948), que le père considérait comme un enfant prodige vu qu'il avait tourné son premier film à l'âge de dix ans, entrait en adolescence.

Sur le tableau intitulé La Fête à l'atelier (1965), on voit, à droite, le père Marij de profil et, à gauche, peint schématiquement, le profil aquilin typique du fils qui filme avec sa caméra (Fig. 11). Au-dessus de la scène, il y a trois puits à projecteurs cinématographiques tels que les possédaient les salles de cinéma de l'époque. Le segment d'en haut et le partage d'en bas de l'arrière-plan sombre et clair selon le nombre d'or témoignent d'une conception du « montage » typiquement constructiviste, ce que confirme encore le hachoir à viande se trouvant au milieu du tableau (Zgonik, 2007). Le hachoir à viande (c'est-à-dire l'appareil servant à découper la viande) était pour Eisenstein le synonyme du montage cinématographique, base de la création cinématographique : « Mes œuvres sont toujours orientées vers le ‘hachoir à viande’ et non vers l'esthétique », écrivit le metteur en scène russe (Eisenstein, 1981, 46, 316).

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Fig. 11. Pregelj, La Fête à l'atelier, 1965, huile sur toile, 130.5 x 162 cm.

Moderna galerija, Ljubljana.

Pregelj était toujours intéressé par un corps dénudé, ensanglanté, mortifi é à la manière baconienne ; peu avant sa mort, il écrivit : « Les vers rongent mon corps, je me décompose, car je suis déjà mort tandis que le cerveau fonctionne irrésistiblement, sans relâche » (Pregelj, 1969, 21-27). C'est pour cette raison qu'il a pu comprendre l'affi rmation d'Eisenstein que la caméra imite « la chair de la vie », pourtant le fi lm d'auteur ne doit pas reproduire cela, mais il doit découper, dépecer cette « chair » (Eisenstein, 1981, 46, 316). Cette année-là, le livre des premières traductions serbes de la théorie d'Eisenstein, qui était jusqu'alors non traduite et à cause de l'interdit presque inconnue même ailleurs dans le monde, devenait en Yougoslavie très apprécié5. À cette époque, Marij Pregelj découpait pour ses esquisses et ses tableaux des éléments particuliers provenant de diff érents médias écrits pour élaborer des collages à la façon d'un montage cinématographique (Fig. 12).

5 Ce sont les cinéastes de Belgrade, regroupés autour de la Cinémathèque yougoslave, qui ont assuré l'une des premières traductions et publication en général de cette œuvre, principalement Dušan Stojanović: Ajzenštajn /Eisenstein/, (1964). Dans les années soixante, on vit naître dans la culture yougoslave, en littérature, en philosophie et dans d'autres domaines créatifs (notamment dans le « nouveau cinéma yougoslave ») des œuvres d'avant-garde d'un mordant plus ou moins fort et évident, dirigé contre la politique d'alors, l'idéologie dominante et les dirigeants. Ces derniers ont aggravé la situation, qualifi é ces œuvres de « vague noire » tout en les interdisant pour la plupart. Marij Pregelj devait connaître très bien ces événements puisqu'il se sentait toujours artiste yougoslave ; il fut, entre autres, Président de l'Association des artistes yougoslaves et représenta souvent l'État fédératif d'alors dans les plus éminentes expositions à l'étranger ; de même, les autres républiques yougoslaves lui passèrent commande d'œuvres monumentales en mosaïque et lui achetèrent tableaux et gravures. Avant sa mort, il légua la moitié de ses œuvres au Musée de l'art contemporain de Belgrade.

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Fig. 12. Pregelj, Olympia, 1966-1967, technique mixte (collage, détrempe) sur toile, 76.5 x 149.5 cm.

Moderna galerija, Ljubljana.

Un an avant sa mort, en 1966, il retourna au mythe antique et peignit Nausicaa et Le lit de Jocaste. Au cours des trois premiers mois de 1967, les derniers de sa vie, il termina le Diptyque [Diptihon] sur lequel apparaît de nouveau le hachoir à viande, et trois tableaux qui sont en quelque sorte son testament (Fig. 13).

Fig. 13. Pregelj, Dyptique, 1967, technique mixte sur toile, 176 x 150 cm (2x).

Muzej savremene umetnosti, Belgrade.

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La première de ces toiles, le Portrait de la femme, représente sa femme avec une valise à la main, devant un miroir (Fig. 14).

Fig. 14. Pregelj, Portrait de la femme, 1967, technique mixte sur toile, 100 x 81.5 cm.

Moderna galerija, Ljubljana.

Son visage est tout à fait reconnaissable et très bien caractérisé, tandis que le refl et la montre sous la forme d'une chimère pâle, horrible, à moitié eff acée, comme un fantôme qui prépare pour son mari les bagages de son dernier voyage. Sur la toile suivante, le Portrait du fi ls Vasko, le regard du fi ls, qui était jusqu'à sa mort prématurée à 37 ans un cinéaste enthousiaste, se prolonge dans la caméra qui va supplanter le pinceau du père ou bien, comme l'avait écrit le fi ls : « Dans son avant- dernier tableau, le père a tracé la forme apparente de ma destinée » (Pregelj, 1969, 21-27) (Fig. 15).

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Fig. 15. Pregelj, Portrait du fi ls Vasko, 1967, technique mixte sur toile, 117 x 89 cm.

Moderna galerija, Ljubljana.

Vasko, pour qui la plus grande qualité des tableaux de Marij résidait justement dans la mise en scène, est devenu, après la mort de son père, un interprète de son œuvre digne de confi ance. Sur les illustrations de l'Iliade et l'Odyssée, il a écrit que les personnages de Pregelj « sont purifi és de toutes les valeurs héroïques et éthiques de l'image apollinienne de la Grèce. Ce sont les représentants de la réalité la plus brutale qui vivent en dehors de tout domaine spirituel mythique ou mystique. Nous voyons les deux poèmes comme la vision d'un gigantesque carnage, nous y rencontrons les actes les plus scabreux, indignes de l'homme, élevés sur la scène d'un abattoir universel [...] Toute l'énergie de la force spirituelle (de Polyphème) est concentrée dans son œil (Fig. 16).

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Fig. 16. Pregelj, Polyphème, 1967, technique mixte sur toile, 183 x 133 cm.

Moderna galerija, Ljubljana.

Sa grandeur est le symbole de la force de l'individu qui a dépassé les cadres d'une foule stéréotypée et qui, grâce à la force de son œil unique, métaphore du cerveau, saisit et conclut une pensée. Son personnage envisage historiquement l'avenir tout en oubliant le présent, ce qui le conduit à sa perte défi nitive. C'est ce que nous prouve l'ultime œuvre de Pregelj où l'artiste s'identifi e à Polyphème et montre, sous la forme d'un jugement eschatologique de l'humanité, la vision d'un terrible cataclysme  » (Pregelj, 1969, 21-27). Le peintre est donc revenu au géant tragique lorsque, avant d'être opéré, il a appris qu'il souff rait d'un cancer. Le tableau est un autoportrait dissimulé où les rayons s'écoulant de l'œil blessé progressent comme des fi lets de sang vers le segment de droite, vers une caméra cinématographique stylisée, tandis que, dans la coupure au montage en bas, les caméras stylisées fl irtent avec « l'œil » aveugle du lave-linge – peut-être la paraphrase cynique et ironique que Pregelj fait de l'œil de Polyphème ou de la nouvelle acquisition consommatoire de cette époque.

Traduit par Mojka Žbona

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Bibliographie

Ajzenštajn, S. M., Montaža atrakcija. Eseji o filmu (trad. Vučićević, B. et al.), Belgrade 1964.

Bihalji-Merin, O., Marij Pregelj, Maribor 1970.

Eisenstein, S. M., Montaža, ekstaza. Izbrani spisi (dir. Vrdlovec, Z.; trad. Pečenko, P.), Ljubljana 1981.

Kastelic, J., Mikuž, J., Homer, Iliada, Odiseja, Ljubljana 1991.

Mikuž, J., Slovensko moderno slikarstvo in zahodna umetnost, Ljubljana 1995.

Mikuž, J., Zrcaljena podoba. Ogledalo in zunanjost polja, Ljubljana 1997.

Pregelj, V., Reminiscence, Sinteza 15, 1969, pp. 21-27.

Zgonik, N., Marij Pregelj. Risba v sliko, Ljubljana 1994.

Zgonik, N., Slikarjevi zvezki, in : Denegri, J., Zgonik, N., Marij Pregelj. Slike/Paintings 1957-1967, Koper 2007, pp. 60-151.

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Jure Mikuž

Preobrazba Polifemovega pogleda v slikarstvu Marija Preglja (1913–1967)

Ključne besede: Marij Pregelj, slovensko moderno slikarstvo, Polifem, ok(n)o Marij Pregelj, eden najzanimivejših slovenskih slikarjev modernistov, je med leti 1949 in 1951 ilustriral Homerjeva speva Iliado in Odisejo. Njegove ilustracije so v času socrealistične estetike pomenile napoved ponovnega vključevanja slovenske umetnosti v svetovne okvire. Med ilustracijami je tudi postava kiklopa, ki požira Odisejeve tovariše. Podoba velikana z enim očesom je Preglja zaposlovala vse življenje: eno oko lahko slikar, ki je pri svojem poslu najbolj odvisen od pogleda, prikaže v profilu. In profili drugih ter lastnega obraza so Preglja zanimali vse življenje. Enooki niso bili samo ljudje, ampak tudi predmeti: rozeta katedrale, ki se je spremenila v človeško postavo, vrata pralnega stroja, odprtina mlinčka za meso, slepo ok(n)o itd. Motiva zadnjih dveh slik, ki ju je – že več kot leto prej sluteč nesmiselno smrt pri 54 letih – delal tik pred njo, morda celo ne dokončal, sta Polifem in Portret sina Vaska. V prvi kri iz iztaknjenega očesa brizga proti stilizirani filmski kameri, v drugi pa se pogled sina, navdušenega cineasta, podaljšuje v kamero, ki bo spodrinila očetov čopič.

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Jure Mikuž

The Metamorphosis of Polyphemus's Gaze in Marij Pregelj's Painting (1913-1967)

Keywords: Marij Pregelj, modern Slovenian painting, Polyphemus, “windeye”

[“ok(n)o”]

In 1949-1951 Marij Pregelj, one of the most interesting Slovenian modernist painters, illustrated his version of Homer's Iliad and Odsssey. His illustrations were presented in the time of socialist realist aesthetics announce a reintegration of Slovenian art into the global (Western) context. Among the illustrations is the figure of Cyclops devouring Odysseus' comrades. The image of the one-eyed giant Polyphemus is one which concerned Pregelj all his life: the painter, whose vocation is most dependent on the gaze, can show one eye in profile. And the profiles of others' faces and of his own face interested Pregelj his whole life through. Not only people but also objects were one-eyed: the rosette of a cathedral, which changes into a human figure, a washing machine door, a meat grinder's orifice, a blind “windeye” or window, and so on. The themes of his final two paintings, which he, already more than a year before his boding senseless death at the age of 54, executed but did not complete, are Polyphemus and the Portrait of His Son Vasko. In the first, blood flows from the pricked-out eye towards a stylized camera, in the second, the gaze of the son, an enthusiastic filmmaker, extends to the camera that will displace the father's brush.

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