• Rezultati Niso Bili Najdeni

View of Onze theses sur la politique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Share "View of Onze theses sur la politique"

Copied!
16
0
0

Celotno besedilo

(1)

Onze thèses sur la politique

T hèse 1. La politique n ’est pas l ’exercice du pouvoir. La politique doit être définie par elle-même, comme un mode d ’agir spécifique mis en acte par un sujet propre et relevant d ’une rationalité propre. C ’est la relation politique qui permet de penser le sujet politique et non l ’inverse.

O n fait d ’em b lée l’économ ie de la politique si on l’identifie avec la p ra tiq u e d u p o u v o ir e t la lu tte p o u r sa possession. Mais on fait aussi l’éco no m ie de sa pensée, si on la conçoit com m e une théorie du pouvoir ou u n e rech erch e du fo n d em en t de sa légitimité. Si la politique est quelque c h o s e d e s p é c ifiq u e t pas s im p le m e n t u n m o d e d ’ a g ré g a tio n plu s c o n s id é ra b le o u u n e fo rm e de p o u v o ir d istin g u ée p a r son m o d e de légitim ation, c ’est q u ’elle co ncern e un sujet qui lui est pro p re et q u ’elle le c o n c ern e sous la form e d ’u n m ode de relation qui lui est pro p re et q u ’elle le c o n c ern e sous la form e d ’u n e m ode de relation qui lui est p ropre. C ’est b ien ce que d it A ristote lorsque, au livre I de la Politique, il distingue le c o m m a n d em e n t politique de tous les autres, com m e com m andem en t sur des égaux o u b ien lo rsq u ’il définit au livre 111 le citoyen com m e celui qui ”a p a rt au fait de c o m m a n d e r e t à celui d ’ê tre c o m m a n d é ”. Le tout de la politique est dans cette relation spécifique, cet avoir-part q u ’il faut interroger sur son sens et su r ses conditions de possibilité.

Seulem ent, cette relatio n s’offre à deux interprétations radicalem ent opposées qui définissent deux points de vue antagoniques sur le “p ro p re ” d u politique. La p rem ière in terp rétatio n est celle qui s ’exprim e dans les p ropositions a u jo u rd ’hui rép and u es sur le “reto u r” de la politique. O n a vu fleurir, ces d e rn iè re s années, dans le cadre du consensus étatique, des affirm atio ns p ro c la m a n t la fin de l’illusion du social et le re to u r à un e politiq ue p u re. Ces affirm ations s’ap p u ient généralem ent sur un e lecture des m êm es textes aristotéliciens, vus à travers les interp rétatio ns de Leo Strauss et de H a n n a h A rendt. Ces lectures identifient généralem ent l’ordre politiq ue “p ro p re ” à celui du “eu zen” opposé au zen, conçu comm e o rdre de la sim ple vie. A p artir de là, la frontière du dom estique et du politique devient celle du social et d u politique. Et à l’idéal de la cité définie par son b ien p ro p re on oppose la triste réalité de la dém ocratie m oderne comm e

(2)

règne des masses et des besoins. Dans la p ratiq u e, cette céléb ratio n de la politique pu re rem et aux oligarchies gouvernem entales, éclairées p a r leurs experts, la vertu du bien politique. C ’est à dire que la p réte n d u e purification du politique, libéré de la nécessité dom estiqu e et sociale, revient à la p u re et simple reduction du politique à l’étatique.

D errière la bouffonnerie présente des “re to u rs ” de la p olitique ou de la philosophie politique, il faut rec o n n a ître le cercle vicieux fo n d am en tal qui caractérise la p h ilo so p h ie p o litiq u e . Ce cerc le vicieux ré sid e d an s l’in terprétatio n du rap p o rt entre la relation politique e t le sujet politique.

Il consiste à poser un m ode de vie p ro p re à l’existence politique. La relation politique se d éd u it alors des prop riétés de ce m o n d e vécu spécifique. O n l’explique p a r l’existence d ’un p erson n age qui a le bien ou l’universalité comme com m e élém en t spécifique, opposé au m o nde privé ou dom estique des besoins ou des intérêts. O n e x p liq u e , en b ref, la p o litiq u e com m e l’accom plissem ent d ’un m ode de vie p ro p re à ceux qui lui so nt destinés.

O n pose com m e fo n d em en t de la politique ce p artage qui est en fait son objet.

Le p ro p re de la p olitiq u e est ainsi p e rd u d ’e m b lé e si o n la p e n se comme un m onde vécu spécifique. La politique ne p e u t se définir p a r aucun sujet qui lui préexisterait. C ’est dans la form e de sa relation que d o it être cherchée la “différence” politique qui p e rm e t de p en ser son sujet. Si l ’on re p re n d la d éfinition aristotélicienne du citoyen, il y a u n no m de sujet (polites) qui se définit par un avoir-part (metexis) à u n m ode d ’agir (celui de Yarkheïn) et au pâtir qui correspond à cet agir (Y arkhesthaï). S’il y a u n p ro p re de la politique, il se tient tout en tier dans cette relation qui n ’est pas u n e relation en tre des sujets, mais une relation en tre d eux term es contradictoires par laquelle se définit un sujet. La politique s’évanouit dès q u e l’on défait ce no eud d ’u n sujet et d ’u n e relation. C ’est ce qui se passe dans toutes les fictions, spéculatives ou empiristes, qui c h e rc h e n t l’origine de la relation p o litiq u e d a n s les p ro p rié té s de ses su je ts e t les c o n d itio n s d e le u r rassem blem ent. La question traditionnelle “P o u r quelle raison les hom m es s’assemblent-ils en com m unautés politiques?” est toujours déjà u n e réponse, et une rép o n se qui fait disparaître l’o b jet q u ’elle p ré te n d e x p liq u e r ou fonder, soit la form e de l’avoir-part politique, laquelle disparaît alors dans le je u des élém ents ou des atom es de sociabilité.

(3)

T hèse 2. Le propre de la politique est l ’existence d ’un sujet défini par sa participation à des contraires. La politique est un type d ’action paradoxal.

Les form ules selon laquelle la politique est le com m andem ent sur des égaux e t le citoyen celui qui a p art au fait de com m ander et à celui d ’être com m an d é é n o n c e n t u n p aradoxe qui doit être pensé dans sa rigueur. Il fau t d o n c é c arte r les rep résentation s banales sur la réciprocité des devoirs e t des d ro its, a p p a rte n a n t à la doxa des systèmes p arle m e n taires, p o u r e n te n d re ce que la form ule aristotélicienne dit d ’inouï. Elle nous parle d ’un être qui, en m êm e tem ps, est l’agent d ’une action et la m atière sur laquelle s’ex erce cette action. Elle co n tred it la logique norm ale de l’agir qui veut q u ’u n agent doué d ’un e capacité spécifique produise un effet sur une matière ou u n objet, p osséd an t l’ap titu d e spécifique à recevoir cet effet et à rien d ’autre.

C ’est u n p ro b lè m e q u ’o n ne ré so u t a u c u n e m e n t p a r la classique o p p o sitio n de d e u x m odes de l’agir, la poiesis, régie p ar le m odèle de la fab ricatio n qui d o n n e fo rm e à u n e m atière et la praxis, soustrayant à ce r a p p o r t l’in te r-ê tre des hom m es voués à la politique. O n sait que cette opposition, relayant celle du zen et de 1’ eu zen, soutient une certaine idée de la p u re té politique. Ainsi, chez H ann ah A rendt, l ’o rd re de la praxis est celui des égaux dans la puissance de Yarkheïn, conçue com m e puissance de com m encer. “Le m o t arkheïn, écrit-elle dans Q u’est-ce que la politique'?, veut dire c o m m en cer e t com m ander, donc ê tre libre”. Un vertigineux raccourci p e rm e t ainsi, u n e fois seu lem ent définis un m ode et u n m onde pro p re de l ’agir, de poser u n e série d ’équations en tre com m encer, com m ander, être lib re et vivre dans u n e cité (“Etre libre et vivre dans u n e polis est la même chose”, dit en co re ce texte). La série d ’équations trouve son équivalent dans le m o uv em ent qui e n g e n d re l’égalité citoyenne à p artir de la com m unauté des h é ro s h o m é riq u e s, égau x dans le u r p articip atio n à la puissance de Y arkhè.

C o n tre cette idylle h o m ériq u e, le p rem ier tém oin est H o m ère lui- m ê m e . C o n tr e T h e r s ite , le b a v a rd , c e lu i q u i est h a b ile à la p a ro le d ’assem blée, alors m êm e q u ’il n ’a aucun titre parler, Ulysse rappelle que l’arm ée des A chéens a u n c h e f et un seul, Agam em non. Il nous rappelle ainsi ce que veut d ire arkheïn: m archer en tête. Et s’il y en a un qui m arche en tête, nécessairem en t les autres m arch en t derrière. E ntre la puissance de Y arkheïn, la liberté et la polis, la ligne n ’est pas droite mais brisée. Il suffit, p o u r s’en convaincre, de voir la m anière d o n t Aristote com pose sa cité avec trois classes, d éten trices chacu n e d ’un “titre” particulier: la vertu p o u r les aristoï, la richesse p o u r les oligoï et la liberté po u r le démos. Dans ce partage,

(4)

la “lib e rté ” a p p a ra ît com e la p a rt p arad o x ale de ce démos d o n t le h éros hom érique nous disait précisém ent q u ’il n ’avait q u ’u n e chose à faire: se taire et courber l’échine.

En bref, l’opposition de la praxis et de la poiesis ne réso u t en rien le paradoxe de la définition du politès. En m atière d' arkhè, plus q u ’ en to ute autre, la logique norm ale veut q u ’il y ait u n e disposition p articu lière à agir qui s’exerce sur u n e disposition spécifique à pâtir. La logiq ue de Y arkhè suppose ainsi u n e supériorité d éterm in ée qui s’exerce su r u n e in fériorité déterm inée. Pour q u ’il y ait un sujet de la politique, et do n c de la politique, il faut q u ’il y ait ru p tu re de cette logique.

Thèse 3. La politique est une rupture spécifique de la logique de l ’arkhè. Elle ne suppose pas en effet simplement la rupture de la distribution “normale ” des positions entre celui qui exerce une puissance et celui qui la subit, mais une rupture dans l’idée des dispositions qui rendent “propre” à ces positions.

Au 111° livre des Lois (690 e ), P la to n se livre à u n r e c e n s e m e n t systématique des titres (axiomata) à go uverner et de titres corrélatifs à ê tre gouverné. Sur les sept q u ’il retien t, q u a tre so n t des titres tra d itio n n e ls d ’autorité, fondés sur u n e différence de n a tu re qui est u n e différence dans la naissance. O nt titre à com m ander ceux qui so nt nés avant ou au tre m e n t.

Ainsi se fonde le pouvoir des parents sur les enfants, des vieux sur les jeu n e s, des m aîtres sur les esclaves et des nobles su r les vilains. Le cinquièm e titre se p ré se n te lui com m e le p rin c ip e des p rin c ip e s , ré s u m a n t to u te s les différences de nature. C ’est le pouvoir de la n a tu re su p érieu re, des plus forts sur les plus faibles, pouvoir qui a m a lh e u re u se m e n t l ’inco nv énien t, lon guem ent argum enté par le Gorgias, d ’être strictem en t in d éterm in ab le.

Le sixième titre do nn e la seule différence qui vaille aux yeux de Platon, le pouvoir de ceux qui savent sur ceux qui n e savent pas. Il y a ainsi q u atre couples de titres traditionnels, et deux couples théoriq ues qui p ré te n d e n t à leur relève: la supériorité de n atu re e t le c o m m a n d em e n t de la science. La liste devrait s’arrêter là. Il y a p o u rta n t u n septièm e titre. C ’est le “choix du d ieu ”, a u tre m e n t dit l ’usage du tirage au so rt p o u r d ésig n er celui à qui revient l’exercice de Y arkhè. Platon ne s’étend pas. Mais, clairem ent, ce choix, iro niqu em en t dit du dieu, désigne le régim e d o n t il nous d it ailleurs q u ’un dieu seul p e u t le sauver, la dém ocratie. Ce qui caractérise la d ém o cratie, c’est le tirage au sort, l’absence de titre à gouverner. C ’est l ’état d ’exception dans lequel ne fon ctio n n e aucun co u p le d ’opposés, a u cu n p rin c ip e de répartition des rôles. “Avoir p art au fait de co m a n d e r e t d ’être c o m m a n d é ” est alors tou te autre chose q u ’u n e affaire de réciprocité. C ’est au c o n traire

(5)

l’ab sen ce de réc ip ro c ité qui constitue l’essence exceptionnelle de cette relation. Et cette absence de réciprocité repose sur le paradoxe d ’un titre qui est absence de titre. La dém ocratie est la situation spécifique où c ’est l ’a b s e n c e d e titr e q u i d o n n e titre à l ’e x e rc ic e de Varkhè. Elle est le c o m m e n c e m e n t sans co m m e n ce m e n t, le c o m m an d em en t de ce qui ne c o m m a n d e pas. Ce q u i est ru in é p a r là c ’est le p ro p re de Y arkhè, son redoublem ent, qui fait q u ’elle se précède toujours elle-même, dans un cercle de la dispo sitio n e t de son exercice. Mais cette situation d ’exception est id en tiq u e à la co n d itio n m êm e d ’un e spécificité de la politique en général.

Thèse 4. La démocratie n ’est pas un régime politique. Elle est, en tant que rupture de la logique de l ’arkhè, c’est-à-dire de l ’anticipation du commandement dans sa disposition, le régime même de la politique comme forme de relation définissant un sujet spécifique.

Ce qui re n d possible la metexis pro p re à la politique, c’est la ru p tu re de toutes les logiques de la distribution des parts dans l’exercice de Y arkhè.

La “lib e rté ” d u p e u p le q ui co n stitu e Y axiome de la d ém o cratie a p o u r c o n te n u réel la ru p tu re de l’axiom atique de la dom ination, c’est-à-dire de la c o rré la tio n e n tre u n e cap acité à co m m a n d er et u n e capacité à être com m an d é. Le citoyen qui a p art “au fait de com m ander et à celui d ’être c o m m a n d é ” n ’est pensable q u ’à partir du démos com m e figure de ru pture de la correspondance en tre des capacités corrélées. La démocratie n ’est donc au cu n em en t u n régim e politique, au sens de constitution particulière parm i les d iff é re n te s m a n iè re s d ’a sse m b le r des h o m m es sous u n e a u to rité com m une. La dém ocratie est l’institution m êm e de la politique, l’institution de son sujet e t de sa form e de relation.

D ém ocratie, o n le sait, est un term e inventé par les adversaires de la chose: tous ceux qui o n t u n “titre ” à gouverner: a n cien n eté, naissance, r ic h e s s e , v e rtu , savoir. S ous ce te rm e de d é ris io n , ils é n o n c e n t ce ren v ersem en t in o u ï de l’o rd re des choses: le “pouvoir du démos", c ’est le fait que c o m m a n d en t spécifiquem ent ceux qui ont p o u r seule spécificité co m m un e le fait de n ’avoir aucun titre à gouverner. Avant d ’être le nom de la c o m m u n a u té , démos est le n om d ’u n e p artie de la com m unauté: les p a u v re s . M ais p r é c is é m e n t “les p a u v re s ” ne d é s ig n e pas la p a rtie é c o n o m iq u em e n t défavorisée de la population. Cela désigne sim plem ent les gens qui ne com ptent pas, ceux qui n ’o nt pas de titre à exercer la puissance de Y arkhè, pas de titre à être comptés.

C ’est très p ré c is é m e n t ce que nous d it H o m ère dans l’épisode de T h ersite déjà évoqué. Ulysse d o n n e des coups de sceptre sur le dos de ceux

(6)

qui veulent parler, alors q u ’ils sont d u démos-, alors q u ’ils a p p a rtie n n e n t à la collection indifférence de ceux qui sont hors-com pte (enariqmioi). Ceci n ’est pas une d éd uctio n mais un e définition. Est d u démos, celui qui est h ors c o m p te , celui qu i n ’a pas de p a ro le à fa ire e n te n d r e . U n passag e re ­ m arquable du ch an t XII illustre ce point. Polydamas s’y p lain t de ce qu e son avis ait été tenu p o u r nul p ar Hector. Avec toi, dit-il, “o n n ’a pas le d ro it du parler qu and on est du démos“. O r Polydamas n ’est pas u n vilain com m e Thersite, c’est un frère d ’Hector. Démos n e désigne pas u n e catégorie sociale inférieure. Est du démos celui qui parle alors q u ’il n ’a pas à parler, celui qui p ren d p art à ce à quoi il n ’a pas de part.

Thèse 5. Le peuple qui est le sujet de la démocratie, donc le sujet matriciel de la politique, n ’est pas la collection des membres de la communauté ou la classe laborieuse de la population. Il est la partie supplémentaire par rapport à tout compte des parties de la population qui permet d ’identifier au tout de la communauté le compte des incomptés.

Le p euple (démos) existe seu lem en t com m e ru p tu re de la logique de l’arkhè, ru p tu re de la logique du c o m m e n c e m e n t/c o m m a n d e m e n t. Il ne saurait s’identifier ni à la race de ceux qui se reco nn aissen t au fait q u ’ils o n t m êm e com m encem ent, m êm e naissance, ni à u n e partie o u à la som m e des parties de la population. Peuple est le su pp lém ent qui disjoint la pop ulatio n d ’elle-même, en su spendant les logiques de la do m in atio n légitim e. C ette disjonction s’illustre particulièrem ent dans la réform e essentielle qui d o n n e à la dém ocratie a th é n ien n e son lieu, celle q u ’o p è re C listhéne en reco m ­ posant la distribution des dèm es sur le territo ire de la cité. En co n stitu an t chaque tribu par adjonction de trois circonscriptions séparées - u n e de la ville, u ne de la côte e t u ne de l’arrière-pays -, C listhéne cassait le prin cipe a rc h iq u e q u i te n a it les trib u s so u s le p o u v o ir d e c h e ff e rie s lo c a le s d ’aristocrates d o n t le pouvoir, légitim é p a r la naissance lég en d aire, avait de plus en plus pour contenu réel la puissance économ ique des propriétaires fonciers. Le p euple est, en somme, u n artifice qui vient se m ettre en travers de la logique qui d o n n e le principe de la richesse p o u r h é ritie r du prin cip e de la naissance. Il est un su p p lém en t abstrait p a r ra p p o rt à to u t com pte effectif des parties de la p o p u latio n , de leu rs titres à p re n d r e p a rt à la com m unauté et des parts de com m un qui leu r rev ie n n en t en fo n ctio n de ces titres. Le “p eu p le” est l’existence su p p lém en taire qui inscrit le com pte des incom ptés ou la p a rt des sans-part. O n n e p re n d ra pas ces expressions en un sens populiste mais en u n sens structural. Ce n ’est pas la popu lace laborieuse et souffrante qui vient o ccu p er le terrain d e l’agir politique et

(7)

id en tifier son no m à celui de la com m unauté. Ce qui est identifié par la d ém ocratie avec le to u t de la com m unauté, c’est une partie vide, supplé­

m entaire, qui sépare la com m unauté de la somme des parties du corps social.

Id en tifier ce vide au trop-plein de la populace, des masses, etc...est le tour co n stan t de la critique disqualifiante de la dém ocratie. Mais avec la disquali­

fication de la dém ocratie, c ’est la spécificité de la politique elle-même qui s’évanouit.

T hèse 6. L ’essence de la politique est l’action de sujets supplémentaires qui s ’inscrivent en surplus par rapport à tout compte des parties d ’une société.

La duplicité d u peup le et le rap p o rt de cette duplicité à un vide et à un trop-plein sont des constantes de l’interprétation m oderne de la démocratie.

Ainsi la tradition républicaine m oderne insiste-t-elle volontiers sur la distance e n tre la figure p rincipielle d u peuple com m e sujet de la souveraineté et la triste réalité du p eup le com m e m onde des intérêts et des besoins, de la faim e t de l’ignorance. Plus récem m en t les bilans des catastrophes du XXè siècle o n t mis en cause le trouble originaire qui lie l’inscription du sujet “peu p le”

à l ’e ff o n d r e m e n t de la fig u re sym bolique du “d o u b le corps du r o i”.

L’in te rp ré ta tio n de Claude Lefort lie le vide central de la dém ocratie à la d é s in c o rp o ra tio n de ce d o u b le corps - h u m ain et divin. La dém ocratie co m m en cerait avec le m eu rtre du roi, c ’est-à-dire avec un effondrem ent du sym bolique, p ro d u c te u r d ’u n social désin corp oré. E t ce lien originaire éq uivau d rait à u n e ten tatio n originaire de reconstitution imaginaire d ’un corps glorieux d u peu ple, h éritier de la transcendance du corps im m ortel d u roi e t p rin c ip e de tous les totalitarism es. A ces analyses, on opposera qu e le do ub le corps du p eu p le n ’est pas un e conséquence m oderne d ’un sacrifice du corps souverain mais un e d o n n n ée constitutive de la politique.

C ’est d ’ab o rd le p euple, e t n o n le roi, qui a un double corps. Et cette dualité n ’est rien d ’au tre que le su p p lém en t vide p ar lequel la politique existe, en su p p lé m e n t à to u t com pte social et en exception à toutes les logiques de la dom ination .

Le septièm e titre est, dit Platon, la “p art du dieu”. O n tiendra que cette p a rt du d ieu - ce titre de ce qui est sans titre - contient en elle tout ce que la politique a de “th éo lo g iq u e”. L’ insistance contem poraine sur le thèm e du

“th éo lo g ic o -p o litiq u e ” d isso u t la question de la p olitiq ue dans celle du po u voir e t d e la situ a tio n orig inaire qui le fonde. Elle double la fiction libérale du c o n tra t p ar la représen tatio n d ’u n sacrifice originaire. Ce qui veut d ire aussi q u ’elle à supplém ente les logiques vulgaires du consensus p ar un e g ran d e d ram aturgie du m eurtre fondateur et de l’abîme originaire

(8)

de la dém ocratie. Mais la division de Y arkhè qui fo n d e la politique avec la dém ocratie n ’est pas un sacrifice fondateur. Elle est u n e n eu tralisatio n de tout corps sacrificiel. Cette n eutralisation p o u rra it trouver sa fable exacte dans la fin d’ Oedipe à Colonne: c ’est au p rix d e la d is p a ritio n d u co rp s sacrificiel, au prix de ne pas ch erch er le corps d ’O ed ipe, que la dém ocratie ath én ien n e reçoit le bienfait de sa sépulture. V ouloir d é te rre r le cadavre, ce n ’est pas seulem ent associer la form e d ém o cratiq u e à u n scénario de péché ou de m alédiction originels. C ’est, plus ra d ic a le m e n t ra m e n e r la logique de la politique à la question de la scène originaire du pouvoir, c ’est- à-dire ram en er le politique à l’étatique. La d ram atu rg ie de la catastroph e symbolique originaire, en in te rp ré ta n t la partie vide dans les term es de la psychose, transform e l’exception po litiq u e en sym ptôm e sacrificiel de la dém ocratie. Elle subsume sous un des in nom brables succédanés de la faute ou du m eu rtre originaire le litige p ro p re à la politique.

T h èse 7. Si la politique est le tracé d ’une différence évanouissante avec la distribution des parties et des parts sociales, il en résulte que son existence n ’est en rien nécessaire mais qu ’elle advient comme u n accident toujours provisoire dans l ’histoire des formes de la domination. Il en résulte aussi que le litige politique a pour objet essentiel l ’existence même de la politique.

La p o litiq u e n ’est a u c u n e m e n t u n e ré a lité q u i se d é d u ir a it des nécessités su rassem blem ent des h om m es en c o m m u n a u té . Elle est u n e exception aux principes selon lesquels s’o p ère ce rassem blem ent. L ’o rd re

“norm al” des choses est que les com m unautés hum aines se rassem blent sous le com m an d em ent de ceux qui o n t des titres à com m ander, titres prouvés p ar le fait m êm e q u ’ils com m andent. Les différents titres à go u v ern er se ram èn en t en définitive à deux grands titres. Le p rem ier renvoie la société à l’ordre de la filiation, hum aine et divine. C ’est le pouvoir de la naissance.

Le second renvoie la société au principe vital de ses activités. C ’est le pouvoir de la richesse. L’évolu tio n “n o rm a le ” des so ciétés, c ’est le p assage du gouvernem ent de la naissance au go uvernem ent de la richesse. La politique existe com m e déviation p ar rap p o rt à cette évolution no rm ale des choses.

C’est cette anom alie qui s’exprim e dans la n a tu re des sujets politiques qui ne sont pas des groupes sociaux mais des form es d ’inscription du com pte des incom ptés.

Il y a de la politique p o u r a u ta n t qu e le p eu p le n ’est pas la race ou la p o p u la tio n , que les pau v res n e s o n t p as la p a r tie d é fa v o ris é e d e la population, les prolétaires pas le g ro up e des travailleurs d ’in d ustrie, etc...

mais q u ’ils sont des sujets inscrivant, en su p p lé m e n t de to u t co m p te des

(9)

parties de la société, u n e figure spécifique d u com pte des incom ptés ou de la p a r t des sans p a rt. Q u e c e tte p a rt existe, c ’est l’e n je u m êm e de la politique. Et c ’est l’objet du litige politique. Le conflit politique n ’oppose pas des g ro u p es ayant des in térêts différents. Il oppose des logiques qui co m p ten t différem m ent les parties et les parts de la com m unauté. Le combat des “riches” et des “pauvres” est le com bat sur la possibilité m êm e que ces m ots se d é d o u b le n t, q u ’ils in stituen t les catégories d ’u n autre com pte de la co m m u n au té. Le litige politique porte sur l’existence litigieuse du pro pre d e la p o litiq u e avec son d é c o u p a g e des p a rties e t des espaces de la com m unauté. Il y a deux m anières de com pter les parties de la com m unauté.

La p rem ière n e com pte qu e des parties réelles, des groupes effectifs définis p a r les différences dans la naissance, les fonctions, les places et les intérêts qui co n stitu en t le corps social, à l’exclusion de tout supplém ent. La seconde com pte “en p lus” u n e p a rt des sans-part. O n appellera la prem ière police, la secon d e politique.

T hèse 8. La politique s ’oppose spécifiquement à la police. La police est un partage du sensible dont le principe est l ’absence de vide et de supplément.

L a p o lic e n ’e s t pas u n e fo n c tio n so ciale m ais u n e c o n s titu tio n symbolique du social. L’essence de la police n ’est pas la répression, pas même le co n trô le sur le vivant. Son essence est u n certain partage du sensible. On ap p ellera p artag e d u sensible la loi généralem en t implicite qui définit les fo rm es de l ’avoir-part en d éfin issan t d ’ab o d les m odes perceptifs dans lesquels ils s’inscrivent. Le partage du sensible est la découpe du m onde et de m o n d e, le nemeïn sur laquelle se fo n d en t les nomoï de la com m unauté.

Ce partage est à e n te n d re au double sens du mot: ce qui sépare et exclut d ’u n côté, ce qui fait participer, de l’autre. Un partage du sensible, c’est la m an ière d o n t se d éterm in e dans le sensible le rap p o rt entre un com m un p artagé et la ré p a rtitio n de parts exclusives. Cette répartition qui anticipe, de son évidence sensible, la répartitition des parts et des parties présuppose elle-m êm e u n partage de ce qui est visible et de ce qui ne l’est pas, de ce qui s’e n te n d et de ce qui ne s’e n te n d pas.

L’essence de la police est d ’être un partage du sensible caractérisé par l’absence de vide e t de supplém ent: la société y consiste en groupes voués à des m odes de faire spécifiques, en places où ces occupations s’exercent, en m odes d ’être c o rre sp o n d a n t à ces occupations et à ces places. Dans cette ad éq u atio n des fonctions, des places et des m anières d ’être, il n ’y a pas de place p o u r a ucu n vide. C ’est cette exclusion de ce q u ’”il n ’y a pas” qui est le princip e policier au co eu r de la pratique étatique. L’essence de la politique

(10)

est de p ertu rb er cet arran g em en t en le su p p lé m e n ta n t d ’u n e p a rt des sans- part identifiée au to u t m êm e de la com m unauté. Le litige politique est celui qui fait exister la politique en la sép aran t de la police qui c o n sta m m e n t la fait disparaître, soit en la n ian t p u re m e n t et sim plem ent soit en id en tifian t sa logique à la sienne propre. La p o litiq ue est d ’a b o rd u n e in te rv en tio n sur le visible et l’énonçable.

Thèse 9. Le travail essentiel de la politique est la configuration de son propre espace.

Il est de faire voir le monde de ses sujets et de ses opérations. L ’essence de la politique est la manifestation du dissensus, comme présence de deux mondes en un seul.

P a rto n s d ’u n e d o n n é e e m p iriq u e : l ’in te rv e n tio n p o lic iè re d a n s l ’espace public ne consiste pas d ’a b o rd à in te rp elle r les m anifestants mais à disperser les manifestations. La police n ’est pas la loi qui interpelle l’individu (le “ hé! vous, là-bas” d ’A lthusser), sau f à la c o n fo n d re avec la su jétion religieuse. Elle est d ’abord le rappel à l’évidence de ce q u ’il y a, o u p lu tô t q u ’il n ’y a pas: “Circulez! il n ’y a rien à voir “. La police dit q u ’il n ’y a rien à voir sur u n e chaussée, rien à faire q u ’à y circuler. Elle dit que l’espace de la circulation n ’est que l’espace de la circulation. La p olitiq ue consiste à transform er cet espace de circulation en espace de m anifestation d ’un sujet:

le peuple, les travailleurs, les citoyens,etc.., sujet d o n t la consistance n ’est rien d ’au tre que sa capacité de se m anifester et d e m anifester p a r là-m êm e une autre configuration du com m un. Elle consiste à refig u rer l ’espace, ce q u ’il y à y faire, à y voir, à y nom m er. Elle est le litige institué sur le partage du sensible, sur ce nemeïn qui fonde to u t nomos com m u nau taire.

Ce partage qui constitue la politique n ’estjam ais d o n n é sous la form e du lot, de la pro priété qui destine ou oblige à la politique. Ces pro p riétés sont précisém ent litigieuses, dans leu r co m p ré h en sio n com m e dans leu r extension. Il en va exem plairem ent ainsi p o u r ces propriétés qui définissent chez Aristote la capacité politique ou la destination à un e “vie selon le b ie n ” séparée de la simple vie. Rien de plus clair, en ap p aren ce, q ue la d éd u ctio n tirée au livre I de la Politique du seméion que constitue le privilège hu m ain du logos, p ro p re à m anifester u ne co m m un au té dans Y aisthesis d u ju ste et de l’injuste, et la phônè, seulem ent p ro p re à exprim er les sensations du plaisir et du déplaisir subis. Q ui est en présence d ’u n anim al possédant le langage articulé et son pouvoir de m anifestation sait q u ’il a affaire avec u n anim al hum ain, donc politique. La seule difficulté pratique est de savoir à quel signe on reco n n aît le signe, com m ent on s’assure que l’anim al h u m ain qui fait du b ru it devant vous avec sa b o u c h e a rticu le b ien u n discours, au lieu d ’exprim er seulem ent u n état. Celui que l’on ne veut pas c o n n aître com m e

(11)

être politique, on com m ence p a r ne pas le voir comm e p o rte u r des signes d e la politicité, p a r n e pas co m p ren d re ce q u ’il dit, p ar ne pas en te n d re q u e c ’est u n discours q u i so rt de sa b o u ch e. Et il en va de m êm e p o u r l’opposition, si aisém en t invoquée, de l’obscure vie dom estique et privée et de la lum ineuse vie pub liqu e des égaux. Pour refuser à une catégorie, p a r exem ple les travailleurs ou les femmes, la qualité de sujets politiques, il a suffi tra d itio n n e lle m e n t de constater q u ’ils ap p a rten a ie n t à un espace

“d o m estiq u e”, à u n espace séparé de la vie publique et d ’où ne pouvaient so rtir q u e des g ém issem ents ou des cris e x p rim an t souffrance, faim ou c o lè re, m ais pas d e discours m an ifestan t u n e aisthesis com m une. Et la politique de ces catégories a toujours consisté à requalifier ces espaces, à y faire voir le lieu d ’u n e com m unauté, fût-ce celle du sim ple litige, à se faire voir et en te n d re com m e êtres parlants, participants à u ne aisthesis comm une.

Elle a consisté faire voir ce qui ne se voyait pas, entendre comm e de la parole ce qu i n ’était audible que com m e du bruit, m anifester com m e sentim ent d ’u n b ie n e t d ’u n m al c o m m u n s ce qui ne se p ré s e n ta it que com m e expression de plaisir ou de d o u leu r particuliers.

L ’essence de la p o litiq u e est le dissensus. Le dissensus n ’est pas la con fro n tatio n des intérêts ou des opinions. Il est la manifestation d ’un écart du sensible à lui-m êm e. La m anifestation politique fait voir ce qui n ’avait pas d e raisons d ’ê tre vu, elle loge u n m onde dans un autre, par exem ple le m o n d e où l’usine est u n lieu public dans celui où elle est u n lieu privé, le m o n d e où les travailleurs p a rle n t et p arlent de la com m unauté dans celui où ils c rie n t p o u r ex p rim er leu r seule douleur. C’est la raison pour laquelle la politique n e p e u t s’identifier au m odèle de l’action com m unicationnelle.

Ce m o d èle p résu p p o se les p arten aires déjà constitués com m e tels e t les form es discursives de l’échange comm e im pliquant u n e com m unauté du d isco urs, d o n t la c o n tra in te est to ujo u rs explicitable. O r le p ro p re du dissensus politique, c ’est que les partenaires ne sont pas constitués n on plus q u e l ’o b jet e t la scèn e m êm e de la discussion. Celui qui fait voir q u ’il a p p a rtie n t à un m o n d e com m un que l’autre ne voit pas ne peut se prévaloir d e la lo g iq u e im p lic ite d ’a u c u n e p ra g m a tiq u e d e la co m m u n ic a tio n . L’o uvrier qui a rg u m en te le caractère public d ’un e affaire “dom estique” de salaire doit m anifester le m o n de dans lequel son argum ent est un argum ent et le m anifester p o u r celui qui n ’a pas de cadre où le voir. L’argum entation p o litiq u e est en m êm e tem ps la m anifestation du m o n d e où elle est un arg u m en t, adressé p a r u n sujet qualifié p o u r cela, sur u n objet identifé, à u n destinataire qui est requis de voir 1’ objet et d ’en tendre 1’ argum ent q u ’il n ’a “n o r m a l e m e n t ” pas d e ra iso n de vo ir ni d ’e n te n d r e . Elle e st la construction d ’u n m o n de paradoxal qui m et ensemble des mondes séparés.

(12)

La politique n ’a pas ainsi de lieu p ro p re ni de sujets naturels. U n e m anifestation est politique non parce q u ’elle a tel lieu et p o rte sur tel ob jet mais parce que sa form e est celle d ’u n a ffro n te m e n t e n tre deu x partages du sensible. Un sujet politique n ’est pas u n g ro u p e d ’in térêts ou d ’idées.

C’est l’o p érateu r d ’un dispositif p articulier de subjectivation du litige p a r lequel il y a de la politique. La m anifestation p o litiqu e est ainsi toujours ponctuelle et ses sujets toujours précaires. La différence politique est toujours en bord de disparition: le peuple près de s’ab îm er dans la p o p u latio n ou dans la race, les p ro lé ta ire s p rès d e se c o n fo n d re avec les trav ailleu rs défendant leurs intérêts, l’espace de m anifestation publique d u p eu p le avec l’agora des m archands, etc...

La déduction de la politique à p artir d ’u n m o n d e spécifique des égaux ou des hom m es libres, opposé à un a u tre m o n d e vécu de la nécessité p re n d donc p o u r fo nd em en t de la politique, ce qui est p récisém en t l’objet de son litige. Elle s’oblige ainsi elle-même à la cécité de ceux qui “n e voient pas”

ce qui n ’a pas lieu d ’être vu. En tém oigne e x em p lairem en t le passage de Y Essai sur la révolution où H annah A rendt com m ente le texte de J o h n Adams, id en tifian t le m alh e u r d u pauvre au fait de “n e pas ê tre v u ”. U ne telle identification, com m ente-t-elle, ne pouvait elle-m êm e é m a n e r q u e d ’u n hom m e a p p a rten a n t à la com m unauté privilégiée des égaux. Elle pouvait, en rev a n c h e , “à p e in e ê tre c o m p rise ” p a r les h o m m e s des c a té g o rie s concernées. O n p o u rra it s’é to n n e r de l ’e x tra o rd in a ire su rd ité q u e cette affirm ation oppose à la m u ltip licité des d isco u rs e t m a n ifestatio n s des

’’pauvres”, c o n c ern a n t précisém en t le m o d e d e le u r visibilité. Mais cette surdité n ’a rien d ’accidentel. Elle fait cercle avec l’admission com m e partage originel, fo n d an t la politique, de ce qui est précisém en t l’objet p e rm a n e n t du litige, constituant la politique. Elle fait cercle avec la définition de Y homo laborans dans un partage des “m odes de vie”. Ce cercle n ’est pas celui d ’u n e théoricienne particulière. Il est le cercle m êm e de la “philosophie politique“.

Thèse 10. Pour autant que le propre de la philosophie politique est de fonder l ’agir politique dans un mode d ’être propre, le propre de la philosophie politique est d ’effacer le litige constitutif de la politique. C’est dans la description même du monde de la politique que la philosophie effectue cet effacement. Aussi son efficace se perpétue-t- il jusque dans les descriptions non-philosophiques ou anti-philosophiques de ce monde.

Q ue le p r o p re d e la p o litiq u e s o it d ’ê tr e le fa it d ’u n s u je t q u i

“com m ande” par le fait m êm e de n ’avoir pas de titre à com m an der; q u e le principe du co m m en cem en t/co m m an d em en t soit p ar là irrém édiablem ent

(13)

divisé e t q ue la co m m u n au té politique soit p ro p re m en t u n e com m unauté d u litige, tel est le se c re t d e la p o litiq u e in itia lem e n t re n c o n tré p a r la philosophie. S’il y a u n privilège des “Anciens” sur les “M odernes”, c’est dans la p e rc e p tio n d e ce se cre t q u ’il se situe et n o n dans l ’oppositio n de la com m u nau té du bien à celle de l’utile. Sous le term e anodin de “philosophie p o litiq u e”, se cache la ren co n tre violente de la philosophie avec l’exception ph ilo so p h iq u e à la loi de Y arkhè et l’effort de la philosophie p o u r replacer la p o litiq u e sous c e tte loi. Le Gorgias, la République, le Politique, les Lois tém o ig n e n t d ’u n m êm e effort po u r effacer le paradoxe ou le scandale du

“s e p tiè m e t i t r e ”, p o u r fa ire de la d é m o c ra tie u n e sim p le esp èc e de l’in d éterm in ab le principe du “gouvernem ent du plus fort” auquel s’oppose seul dès lors le seul g o u v ernem ent des savants. Ils tém oignent d ’un m êm e effo rt p o u r m ettre la co m m unau té sous un e loi unique de partage et p o u r expulser la partie vide du démos du corps com m unautaire.

Mais cette expulsion ne se fait pas dans la simple form e de l’opposition e n tre le b o n rég im e de la c o m m u n a u té u n e e t h iéra rc h isé e selon son p rin cip e d ’u n ité e t le mauvais régim es de la division et du désordre. Elle se fait dans la p résup p osition m êm e qui identifie u ne form e politique à un m ode de vie. Et cette présupposition opère déjà dans les procédures de la description des “m auvais” régimes, et de la dém ocratie en particulier. Le to u t de la politique, on l’a dit, se jo u e dans l’in terp rétatio n de “l’anarchie”

d é m o c ra tiq u e . En l ’id e n tifia n t à la d isp ersio n des désirs de l ’ho m m e d é m o c r a tiq u e , P la to n tra n s fo rm e la fo rm e de la p o litiq u e en m o d e d ’existence, et le vide en trop-plein. Avant d ’être le théoricien de la “cité id é a le ” o u de la cité “clo se ”, P laton est le fo n d a te u r d e la c o n c ep tio n anthropo lo giq ue du politique, celle qui identifie la politique au déploiem ent des p ro p riétés d ’u n type d ’hom m e ou d ’un m ode de vie. Tel “hom m e”, tel

“m ode de vie”, telle cité, c ’est là, avant tout discours sur les lois ou les les m odes d ’éd u catio n de la cité idéale, avant m êm e le partage des classes de la co m m u n au té, le p artage du sensible qui an n ule la singularité politique.

Le geste initial de la “philosophie politique” est ainsi à double portée.

D’un côté, Platon fonde un e com m unauté qui e stl’effectuation d ’un principe n on divisé, u n e com m unauté strictem ent définie comme corps comm un avec ses places e t fonctions e t avec ses form es d ’intériorisation du com m un. Il fo n d e u n e archi-politique com m e loi d ’unité entre les “occupations” de la cité, son “etho s”, c ’est-à-dire sa m anière d ’habiter un séjour et son “nom os”, co m m e loi m ais aussi co m m e ton spécifique selon lequel cet éth os se m an ifeste. C ette é th o -lo g ie de la c o m m u n a u té re n d à nouveau in d is­

cernables politique et police. Et la philosophie politique, pour autant q u ’elle ve u t d o n n e r à la c o m m m u n a u té u n fo n d e m e n t u n , est c o n d a m n é e à

(14)

réidentifier politique et police, à a n n u le r la politique dans le geste qui la fonde.

Mais Platon invente aussi u n m o d e d e d e scrip tio n “c o n c re t” d e la p roduction des form es politiques. Il invente en som m e les form es m êm e de la récusation de la “cité idéale”, les form es d ’o p po sition réglées e n tre l’apriorism e” philosophique et l’analyse sociologique ou science-politicienne concrète des form es de la politique com m e expression de m odes de vie.

Ce seconds legs est plus profon d et plus d u rab le que le prem ier. La socio­

logie du politique est la seconde ressource, le deuteron plous de la philosophie p o litiq u e , q ui a c c o m p lit, é v e n tu e lle m e n t “c o n t r e ” e lle , so n p r o je t fondam ental: fond er la com m unauté sur u n p artage univoque d u sensible.

En p a rtic u lie r l ’analy se to c q u e v illie n n e d e la d é m o c r a tie , d o n t les in n o m b ra b le s v aria n te s e t su c c é d a n é s n o u r ris s e n t les d isc o u rs s u r la dém ocratie m oderne, l’âge des masses, l’individu de masse, etc. s’inscrit dans la continuité du geste théorique qui an n u le la singularité structu relle du titre sans titre et de la part des sans part, en redécrivant la dém ocratie com m e p hénom ène social, effectuation collective des propriétés d ’un type d ’hom m e.

Inversem ent, les revendications de la p u re té d u bios politikos, d e la constitution républicaine de la c o m m un au té c o n tre l’individu ou la masse d ém o cratiq u e, e t l’oppo sitio n du p o litiq u e e t d u social p a rtic ip e n t de l’efficace du m êm e noeud entre Y apriorisme de la refondation “républicaine”

et la description sociologique de la dém ocratie. L’opposition d u “p o litiq u e”

et du “social”, par quelque bout q u ’on la p ren n e , est un e affaire en tiè re m en t définie dans le cadre de la “philosophie p o litiq u e”, c ’est-à-dire au sein du refoulem ent philosophique de la politique. Le “re to u r d e la p o litiq u e ” et de la “philosophie politique” a u jo u rd ’h u i proclam é m im e, sans en saisir le principe ni l’enjeu, le geste initial de la “p h ilo so p hie p o litiq u e ”. Il est e n ce sens l’oubli radical de la politique e t d u ra p p o rt ten d u de la p h iloso phie à la politique. Le thèm e sociologique de la fin de la politique dans la société post-m oderne et le thèm e “politiste” du re to u r de la politique s’o rig in e n t l’un et l’au tre dans le double geste initial de la “philoso ph ie p o litiq u e ” et con co u ren t au m êm e oubli de la politiquê.

Thèse 11. La “fin de la politique” et le “retour de la politique” sont deux manières complémentaires d ’annuler la politique dans la relation simple entre un état du social et un état du dispositif étatique. Le consensus est le nom vulgaire de cette annulation.

L’essence de la p o litiq u e résid e d an s les m o d es d e su b jectiv atio n dissensuels qui m anifestent la différence de la société à elle-même. L’essence

(15)

du co n sen su s n ’est pas la discussion pacifique et l’accord raison nab le opposés au conflit e t à la violence. L’essence du consensus est l’annulation d u dissensus com m e é c a rt du sensible à lui- m êm e, l’annulation des sujets excédentaires, la rédu ction du peuple à la somme des parties du corps social e t de la c o m m u n au té politique aux rapports d ’intérêts et d ’aspirations de ces d ifférentes parties. Le consensus est la rédu ction de la politique à la police. Il est la “fin de la p o litiq u e”, c’est-à-dire non pas l’accom plissem ent de ses fins mais sim plem ent le reto u r de l’état “norm al” des choses qui est celui de sa non-existence. La “fin de la politique” est le bord toujours présent de la politique, laquelle est u n e activité toujours ponctuelle et provisoire.

“R e to u r d e la p o l i t i q u e ” e t “Fin de la p o litiq u e ” s o n t a lo rs d e u x in te rp ré ta tio n s sym étriques qui o n t le m êm e effet: effacer le concept m êm e d e l ’e x c e p tio n n a lité p o litiq u e , et la p réc a rité qui est in h é re n te à son princip e. Le th èm e du “re to u r de la politique”, en proclam ant la fin des usurpations du “social” et le reto u r à la politique “ pu re”, occulte sim plem ent le fait qu e le “social” n ’est au cun em en t une sphère d ’existence pro p re mais u n objet litigieux de la politique. L’objet du “m ouvem ent social”, c’est en effet le p artag e des m ondes. Aussi la “fin du social” est-elle sim plem ent la fin d u litige politique sur le partage des m ondes. Le “reto u r de la politique”

est alors l’affirm ation q u ’il y a un lieu p ro p re de la politique. Mais le lieu p ro p re de la p o litiq u e ainsi isolé ne p e u t ê tre a u tre chose que le lieu é ta tiq u e . Les th é o ric ie n s du re to u r de la p olitiqu e affirm ent en fait sa p érem ption . Ils l’iden tifien t à la pratique étatique, laquelle a pou r principe la suppression de la politique.

La thèse sociologique de la fin de la politique pose sym étriquem ent l’existence d ’un état du social tel que la politique n ’y ait plus de raison d ’être, soit q u ’elle ait accom pli ses fins en am en an t précisém ent cet état (version exotérique am éricaine, hegelo-fukuyam esque), soit que ses formes ne soient plus adap tées à la fluidité et à l’artificialité des relations économ iques et sociales actuelles (version ésotérique européenne, heideggero-situationniste).

La thèse se résum e alors à déclarer que le capitalisme, poursuivi ju s q u ’au b o u t de sa logique, en traîn e la pérem ption de la politique. Elle conclut alors soit au deu il de la p olitiq u e devant le triom phe du Léviathan capitaliste devenu règ n e im m atériel du sim ulacre, soit à sa transform ation en form es éclatées, segm entaires, ludiques, cybernétiques, etc..; adaptées à ces formes d u so cial q u i c o r r e s p o n d e n t au sta d e s u p rê m e d u c a p italism e . Elle m éc o n n a ît ainsi q ue, précisém ent, la politique n ’a de raison d ’être dans aucun état du social, et que la contradiction des deux logiques est une donnée c o nstante qui d éfinit la contingence et la précarité propres à la politique.

C ’est-à-dire que, p a r un d é to u r marxiste, elle valide à sa m anière la thèse

(16)

de la “philosophie politique” qui fon d e la politique dans u n m o d e de vie propre et la thèse consensuelle qui identifie la c o m m u n au té p o litiqu e au corps social e te n conséquence la p ratiq u e politique à la p ratiq u e étatique.

Le débat en tre les “philosophes” du reto u r de la politique e t les “sociologues”

de sa fin est ainsi un sim ple d éb at sur l’o rd re dans leq uel il co n v ien t de p ren d re les présuppositions de la “p h ilosophie p o litiq u e” p o u r in te rp ré te r la pratique consensuelle d ’annu latio n de la politique.

Reference

POVEZANI DOKUMENTI

Essais d'anthropologie politique, G allim ard, Paris 1978; L 'Invention démocratique.. Les limites de la domination totalitaire, Fayard, Paris 1981; Un Homme

- Otobiographies, l ’enseignement de Nietzsche et la poli­. tique du nom

Tout com m e Platon indique, dans la République, que le p re ­ m ier stade de la ru p tu re avec l’op in io n est la m athém atiqu e, ce qui après tout éclaire le choix

En cette fin de siècle où le cynisme politique se déchaîne conjointement à une moralisation de la pensée et de l ’existence, il est plus que jamais urgent de (re)penser

C’est seulement pour autant que le politique est relié à l’autre différance, celle de la relation à l’extériorité comme son moment indéconstructible et dont il

Le problème, c ’est que le type de réflexion que nous proposent ces auteurs n ’a de politique que le nom. La philosophie politique n ’est pour eux qu’un domaine spécifique de

Deuxièmement, pour qu'on puisse affirmer que la question politique de l'égalité est en même temps une question philosophique il faut supposer que l'acte

Or la longue histoire de cette figure, puisque elle est présente dès le début de la philosophie politique, pose la question de savoir que veut dire le peuple dans